Candida albicans creuse des tunnels transcellulaires

30.08.2022 - France

Généralement inoffensif, le champignon Candida albicans est retrouvé dans le microbiote d’un grand nombre d’individus. Toutefois, il peut devenir pathogène dans certaines situations, voire dangereux pour des personnes fragiles. Chez ces dernières, il peut en effet se frayer un passage à travers la paroi intestinale et passer dans le sang pour envahir tout l’organisme. Une équipe de scientifiques qui cherche à comprendre les détails des mécanismes impliqués dans ces invasions vient de découvrir un curieux phénomène : le microorganisme est capable de creuser des tunnels transcellulaires…

Candida albicans est un champignon – et plus précisément une levure – naturellement présent dans les muqueuses buccale, vaginale et digestive des humains. Il fait partie du microbiote de nombreuses personnes, au même titre que d’innombrables autres microorganismes. Le plus souvent sa présence n’interfère pas avec notre santé, même si sa prolifération peut conduire à des infections locales nommées « muguets » ou « candidose ». Mais chez certaines personnes fragiles, notamment lorsqu’elles sont immunodéprimées, cette levure peut devenir gravement pathogène. Elle prend alors une forme filamenteuse invasive, appelée « hyphe », qui colonise les parois intestinales, gagne la circulation sanguine et entraîne une infection généralisée.

Des travaux ont déjà porté sur les mécanismes qui permettent à Candida albicans de passer de sa forme classique, ronde, à la forme filamenteuse capable d’infiltrer les tissus. Ainsi, les grandes étapes précoces de l’infection sont déjà assez bien connues : la levure se fixe aux cellules de la paroi intestinale via des molécules d’adhésion, puis l’hyphe se forme en réponse à des facteurs environnementaux et envahit le tissu adjacent. Mais paradoxalement, tout cela se déroule dans un premier temps sans endommager les cellules de l’hôte ni casser leurs membranes : une progression silencieuse qui a intrigué Allon Weiner, chercheur au Centre d’immunologie et de maladies infectieuses à Paris. « Comment la levure peut-elle pénétrer dans les cellules sans les abîmer ? Cela restait jusqu’ici un mystère ! », raconte-t-il.

La vidéo-microscopie et la microscopie électronique à la rescousse

Pour étudier ce phénomène, son équipe a utilisé la vidéo-microscopie et la microscopie électronique en volume 3D. Appliquée aux cellules vivantes, la vidéo-microscopie permet d’observer l’invasion en temps réel, tandis que la microscopie électronique autorise la visualisation des événements à l’échelle nanométrique au sein de cellules fixes. Les chercheurs ont travaillé avec différentes lignées cellulaires mises en contact in vitro avec C.albicans, dont des cellules de la paroi intestinale (entérocytes) qui expriment une version fluorescente de la galectine‑3. Cette protéine est recrutée en cas de dommage à la membrane cellulaire, puis impliquée dans sa réparation. Transformée en marqueur fluorescent, elle permet de repérer facilement les cellules qui seraient abîmées par C. albicans.

C’est ainsi que les chercheurs ont observé un processus d’invasion inédit, qui permet la progression silencieuse des hyphes à travers les cellules sans les détruire, via des tunnels transcellulaires. Comment procèdent-elles ? En repoussant les membranes des cellules hôtes qui forment alors les parois de ces tunnels : « C’est comme si votre doigt était l’hyphe et que vous l’enfonciez dans plusieurs ballons de baudruche superposés, jusqu’à les avoir tous traversés sans les crever », illustre Allon Weiner. Ces tunnels sont en outre plus larges à certains endroits où on retrouve du glycogène qui est connu pour être un élément nutritif de C. albicans. « Cette observation mérite d’être davantage explorée, car elle suggère l’existence de zones de ravitaillement en glycogène pour la levure, au sein de ces tunnels », précise le chercheur.

La formation de ces tunnels se déroule sur plusieurs heures, jusqu’à ce que le champignon commence à endommager les cellules. Ce n’est qu’entre 9 à 24 heures après le début de l’infection que des cellules commencent à être détruites. « Cela pose problème au niveau immunitaire, clarifie Allon Weiner. Puisque la progression du champignon à travers la paroi intestinale est silencieuse au cours des premières heures, il n’y a pas de signal envoyé au système immunitaire pour bloquer l’infection à ce stade précoce. » D’autres travaux le confirment : l’infection à C. albicans ne produit que de faibles niveaux de cytokines pro-inflammatoires pendant ses premières heures. Mais Allon Weiner estime qu’en décortiquant davantage ces mécanismes, il devrait être possible d’apprendre à contrer ce mécanisme pour prévenir des infections sévères. Il est d’ailleurs déjà au travail…

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