Nos cellules prennent leurs aises dans les courbures

Une découverte clé pour la culture d’organes in vitro

17.05.2022 - Suisse

Comment nos cellules s’organisent-elles pour donner leur forme finale à nos organes? La réponse se trouve dans la morphogénèse, ensemble de mécanismes qui régissent leur distribution dans l’espace lors du développement embryonnaire. Une équipe de l’Université de Genève (UNIGE) vient de faire une découverte étonnante dans ce domaine: lorsqu’un tissu se courbe, le volume des cellules qui le composent augmente au lieu de diminuer. Cette découverte ouvre de nouvelles pistes pour la culture d’organes in vitro, alternative partielle à l’expérimentation animale. Elle laisse également entrevoir de nouvelles perspectives pour la production de certains matériaux. Cette recherche est à découvrir dans la revue Developmental Cell.

Aurélien Roux

En biologie, on nomme «morphogénèse» les mécanismes qui déterminent la distribution des cellules dans l’espace pour modeler la forme et la structure de nos tissus et de nos organes. Ces mécanismes sont à l’œuvre au cours du développement embryonnaire et permettent d’expliquer comment se forment, par exemple, les plis de nos intestins ou les alvéoles de nos poumons. En d’autres termes, ces phénomènes sont à la base de notre développement et de celui de tout être vivant.

Les cellules gonflent et c’est inattendu

Dans une récente recherche, l’équipe du professeur Roux a étudié la manière dont les cellules qui composent un tissu réagissent et s’adaptent en cas de courbure de celui-ci. En pliant in vitro une monocouche de cellules, c’est à dire un assemblage compact et plat de cellules disposées les unes à côté des autres, les scientifiques de l’UNIGE ont fait une découverte contre-intuitive. «Nous avons constaté que le volume des cellules situées dans la courbure augmentait d’environ 50% au bout de cinq minutes au lieu de diminuer, puis revenait à la normale en moins de 30 minutes», explique Aurélien Roux, dernier auteur de cette étude. C’est tout le contraire de ce que l’on peut observer en pliant un matériau élastique.

En courbant cette «feuille» de cellules, similaire à celle qui compose notre peau, les chercheurs/euses ont remarqué plus précisément que ces dernières gonflaient pour prendre une forme de petits dômes. «Le fait que cette augmentation de volume soit décalée dans le temps et transitoire montre aussi qu’il s’agit d’un système actif et vivant», ajoute Caterina Tomba, première auteure de l’étude et ex-chercheuse au sein du Département de biochimie de l’UNIGE.

Un phénomène mécanique et biologique

C’est la conjugaison de deux phénomènes qui explique cette augmentation du volume. «Le premier est une réaction mécanique à la courbure, le second est lié à la pression dite osmotique exercée sur la cellule», indique Aurélien Roux. Les cellules évoluent en effet dans un environnement constitué d’eau salée. La membrane semi-perméable qui les sépare de leur environnement laisse passer l’eau mais pas le sel, qui exerce une certaine pression sur la cellule. Plus la concentration de sel extérieure est importante – et donc la pression dite osmotique – plus la membrane de la cellule laissera passer l’eau, ce qui fera augmenter son volume.

«Lorsque l’on induit une courbure, les cellules réagissent comme si c’était la pression osmotique qui augmentait. Elles absorbent donc plus d’eau ce qui a pour effet de les faire gonfler», explique le chercheur.

Utile pour diminuer l’expérimentation animale

Comprendre comment les cellules réagissent à la courbure est une avancée importante pour le développement in vitro d’organoïdes. Ces structures multicellulaires en trois dimensions, conçues pour reproduire la micro-anatomie d’un organe et ses fonctions, permettent en effet d’effectuer de nombreuses recherches sans faire appel à l’expérimentation animale. «Notre découverte est un phénomène actif à prendre en compte pour contrôler la pousse spontanée d’organoïdes, c’est-à-dire parvenir à obtenir la forme et la taille d’organe souhaitées», se réjouit Aurélien Roux. L’objectif à long terme serait de parvenir à faire «pousser» n’importe quel organe de remplacement à l’attention de certain-es patient-es.

Ces résultats revêtent également un intérêt pour les milieux industriels. «Aujourd’hui, il n’existe pas à proprement parler de matériaux qui augmentent de volume lorsqu’on les plie. Des ingénieurs ont conceptualisé un tel matériau sans jamais le concrétiser, car sa production s’avérait extrêmement compliquée. Nos travaux offrent donc également de nouvelles clés de compréhension pour l’élaboration de tels matériaux», conclut Aurélien Roux.

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