Sonder l’origine et l’identité des cellules endocrines du pancréas
Cellules souches endocrines sont absentes dans le pancréas après la naissance
(c) Pedro Luis Herrera
Le diabète est une maladie métabolique fréquente. Caractérisé par une hyperglycémie persistante, il survient lorsque les cellules du pancréas responsables de la production d’insuline – les cellules bêta – sont détruites ou ne parviennent plus à produire cette hormone régulatrice en quantité suffisante.
Depuis 2010, les travaux menés par l’équipe de Pedro Herrera, professeur au Département de médecine génétique et développement et au Centre du diabète de la Faculté de médecine de l’UNIGE ainsi qu’à l’Institut de génétique et génomique de Genève (iGE3), ont permis de découvrir que les autres cellules endocrines du pancréas – les cellules alpha, delta et gamma, qui produisent d’autres hormones utiles à l’équilibre métabolique – sont capables «d’apprendre» à produire de l’insuline lorsque les cellules bêta sont absentes ou défectueuses. Ce phénomène, observé chez la souris et chez l’être humain, a mis en évidence une plasticité cellulaire inconnue auparavant et ouvert la voie à de nouvelles stratégies de prise en charge thérapeutique.
La courte vie des cellules souches du pancréas endocrine
Dans ses deux dernières publications, l’équipe de Pedro Herrera rapporte de nouvelles avancées dans la connaissance des mécanismes de formation des cellules pancréatiques, ainsi que dans le profil d’expression génique définissant l’identité des différents types de cellules endocrines du pancréas. Le premier article, en couverture de la revue Cell Reports, démontre que les cellules endocrines du pancréas sont toutes issues de cellules progénitrices indifférenciées – c’est-à-dire de cellules issues de cellules souches et pas encore spécialisées – ayant émergé pendant le développement embryonnaire mais pas après la naissance.
«Jusqu’ici, une partie de la communauté scientifique pensait que des cellules souches pancréatiques persistaient tout au long de la vie», explique Pedro Herrera. Marta Perez-Frances, chercheuse dans le laboratoire de Pedro Herrera et première auteure de cette étude, ajoute: «Or, nos travaux démontrent que ce n’est pas le cas. En effet, les cellules endocrines qui apparaissent dans le pancréas après la naissance proviennent toutes, par division cellulaire, des cellules différenciées issues des cellules progénitrices indifférenciées et apparues pendant la vie embryonnaire et fœtale.»
Pour observer ce phénomène, les scientifiques ont généré des modèles de souris chez qui les différents types de cellules endocrines du pancréas ont été marqués avec un traceur fluorescent à différents stades du développement, afin de pouvoir les suivre après la naissance. L’équipe a ainsi pu les observer entre un mois et dix mois, âge de la vieillesse chez la souris.
Une carte d’identité cellulaire précise
Dans un deuxième article, publié dans la revue Nature Communications, l’équipe de Pedro Herrera a mis en évidence le profil d’expression génique des cellules endocrines du pancréas. «La définition précise de la «carte d’identité» de ces cellules nous aidera à concevoir un outil visant à élaborer des thérapies de remplacement cellulaire pour traiter le diabète. Ces thérapies pourraient par exemple consister à fabriquer in vitro des cellules productrices d’insuline, ou à stimuler la régénération du pancréas en exploitant la plasticité des cellules non-bêta que nous avons découverte», explique Léon van Gurp, premier auteur et post-doctorant dans le laboratoire de Pedro Herrera.
La génération de cellules de substitution avec des identités fonctionnelles stables est en effet cruciale pour développer des thérapies cellulaires innovantes permettant de lutter contre les maladies dégénératives. Cependant, il faut des outils fiables pour évaluer l’identité des cellules. À cette fin, les chercheurs et chercheuses ont réalisé une méta-analyse approfondie de la transcriptomique de cellules endocrines individuelles isolées à partir d’îlots pancréatiques humains (ces cellules sont en effet regroupées en petits «amas» au sein du pancréas). L’équipe a ainsi analysé les gènes exprimés par cellule. Ces ensembles de gènes fortement exprimés définissent précisément la signature individuelle de chaque type cellulaire des îlots pancréatiques.
«Si nos travaux ne proposent pas d’applications immédiates, ils dessinent, en décryptant en détail les mécanismes régissant la construction de l’identité cellulaire, des orientations thérapeutiques potentiellement novatrices pour soigner le diabète, mais aussi d’autres pathologies liées à la perte d’un type cellulaire donné dans d’autres organes», conclut Pedro Herrera.